Règle troisième : « on é pa d brut kan mem »
Le SMS devient factuel, sec, sobre, rapide, efficace, informatif, en un mot totalement dénué de nuances sentimentales.
Or nous sommes des humains, que diable, pas des bworks. Mais comment concilier notre envie irrépressible d’annoncer à tous la tristesse d’avoir raté une cinquantième fois la forgemagie de votre pelle rhon avec l’urgence de vivre évoquée plus haut ?
Voici la solution :
?
J’ai nommé le semi-laid (prononcez vite, la bouche fendue d’une oreille à l’autre en touchant votre nez avec la langue).
Originellement, le semi-laid se lisait en penchant la tête d’un quart de tour vers la gauche. L’habitude sans doute, et trop de névralgies cervicales sûrement, on fait que l’on voit apparaître des graphies lisibles de face.
Là encore, seule l’imagination semble borner le champ des possibles. Le décryptage se fait sans trop de gêne. Il y a juste une attention particulière à porter à ce qu’ on appelle la question d’échelle.
? ,:/ XD par exemple se lisent en considérant les yeux et la bouche.
\o/ et /o\ désignent la tête et les bras.
Il y en a de plus petits : >< et Oo concernant les yeux, ^^ juste les sourcils, p la bouche, et de plus grands : !!!!!!!!!!!!!!!!!!! désignant couramment une forte troupe de miliciens patrouillant le long des murailles de Bonta ou de Brackmar.
Le résultat est qu’en deux ou trois petits caractères, tout un chacun peut exprimer le plus profond de son être sans crainte de rester incompris.
Si on vous interroge :
« Sa va ? »
et que vous répondez
« Sa va »
Rien de bien intéressant ne peut émerger par la suite.
Répondez plutôt :
« Sa va:/ »
Aussitôt l’autre s’inquiètera du malaise qui visiblement vous étreint par un délicat :
« kigna ? »
Et vous pourrez tout à loisir lui taxer 500 kamas ou lui raconter comment vous avez échoué à forgemager pour la cinquantième fois la susdite pelle rhon.
Règle quatrième : « t po3t toi ? »
Le risque principale qui guette le SMS, c’est l’uniformisation dans l’appauvrissement du lexique.. Or, comme de bien entendu, les utilisateurs de cette langue sont tous d’incurables rebelles de la société, faisant fi de toutes lois et de toutes modes.
S’opère donc une appropriation de la langue par glissement phonétique qui va sans faute différencier la feca du iop.
Prenons l’exemple de l’indispensable « bonjour ».
Sa forme neutre est « bjr », mais on verra plutôt apparaître, selon l’humeur de chacun, quantité de dérivés :
‘jour, slt, coucou, koukou, kikoo, kiou, voire l’inénarrable plop.
L’exemple pris était simple. C’est sous cet angle cependant qu’il faut comprendre certaines occurrences curieuses comme :
« bon bah gigot »
qui ne s’explique que par une fine connaissance du SMS, de la phonétique, et des langues étrangères en général.
De même on glissera avec affection de percep à perco, puis pouné (l’orthographe régulière poney comportant pour une fois autant de lettres que la version SMS mais bon…) et pour les plus facétieux bidet et dada (la comptine A dada sur mon bidet constitue à ce titre un remarquable pléonasme).
Il s’observe un effort continuel pour réhumecter le SMS d’un peu de poésie, comme si chacun se débattait dans un espace trop exigu, avalant à grandes lampées le minimum vital d’oxygène. L’individualisation rappelons-le, ou du moins la démarcation des autres, est un trait distinctif d’une tranche d’âge s’étalant de l’enfance à la maturité, et souvent un signe de bonne santé mentale et physique.
Cette forme de poésie s’enracinera dans toutes les libertés que chacun peut prendre avec le SMS, tout en restant dans les limites du compréhensible. Si besoin était une fois de plus de démontrer que la poésie, c’est la liberté.
Exercice final :
Traduisez en en respectant l’esprit et la poèsie, ces vers de Stefan Malstuffé
Peti R (guerrié)
Se me va ormi litère
K je 100te du foyé
1 pantalon militer
a ma janb rou joi yé
l’1vazion je la guett
Avek le vierge kuru
Tt juste 2 la baguett
O gan blan ds tourlourou
Nu ou d’ekors tenass
Pa pr battr le teuton
Ms kom 1 otre menass
A la fin ke me ve ton
2 tranché ra 7 orti
Folle 2 la sinpati.
On pourrait croire les usagers du SMS avides du plus court chemin vers la communication, fin limiers des raccourcis et chercheurs en atomes sémantiques. C’est beaucoup présager de leur amour de la contrariété.
Dans un premier mouvement certes ils élaguent le mot de ses branches mortes, mais c’est pour aussitôt rajouter des lettres totalement surgies de nulle part.
Prenons le célèbrissime « ok », que tout le monde aura reconnu comme venant de oll korrect, version de all correct labourée par les jeunes du moyen-âge, qui en matière de SMS en connaissaient déjà un rayon .
OK, donc, est déjà trop long pour certains. Un bon coup de scalpel donne « k ».
Sade ultime de la béatitude SMesque ? Rah, voyez la malignité de l’homme, on voit pourtant fleurir partout « oki, ouki », d’absurdes « kk », pour ceux qui n’ont rien compris « oké », voir même « oukiiiii » (à qui il faut reconnaître le mérite de traduire en peu de lettres la phrase suivante : « ah bah maintenant que j’y réfléchis, ça me dit vaguement quelque chose ce que tu me racontes. »)
Règle cinquième : Haut maille gaude, louque hâte de chouque
Il nous faut étudier l’attrait indéniable qu’exerce la langue de Shakespeare et de Bill (son jardinier) sur nos jeunes générations.
Une mine d’or il faut l’avouer. L’anglais est d’une rare efficacité orthographique, ou, selon l’humeur, d’une remarquable pauvreté ornementale. Peu d’homonyme, quasiment aucune désinence muette, une conjugaison qu’un bwork pourrait saisir, et une moyenne de lettres par mots avoisinant les 4, rien que du bonheur en somme.
Et puis surtout, c’est staillile à employer. On nous rétorque que les anglais ont tout inventé en matière de lexique appliqué aux jeu vidéo. Ce à quoi je rétorque en invitant chacun à mettre la main sur un dictionnaire étymologique anglais, juste histoire de mesurer quelle proportion faramineuse de ce lexique fut jadis emprunté au français.
Il est indispensable d’en connaître les rudiments pour bien savourer le SMS, au risque de confondre un sujet hautement polémique ayant trait à la subsistance alimentaire des milliards de petits humains à venir, avec un ustensile tout à fait réjouissant mais que la décence m’interdit de nommer ici. Je veux parler bien sûr de l’expression « OMG ».
Si les rudiments ne sont qu’embryonnaires, vous resterez à rêver dudit instrument, au lieu de goûter pleinement tout le sel théologique que ces trois lettres contiennent.
L’usage de l’anglais vise à plusieurs objectifs divers et parfois contradictoires.
La rapidité bien sûr :
You ? u
One shoot ? OS, au lieu du lamentable un coup ? UC qui pour peu que l’on mette deux coups peut prêter à confusion (DC)
Good game ? gg, puisqu’à l’évidence en français bj ne veut pas dire bien joué mais bonjour…
Un autre usage de l’emprunt aux rosbeefs est de combler l’absence de concept hautement complexe exprimable au moyen d’un seul mot.
Allez traduire toute la signification du mot « farmer »…
En français c’est un fermier, rien de plus (peut-être peut-on l’imaginer crotté aux bottes, et encore…)
En anglais, c’est un petit chinois, un philippin ou bulgare qui est payé une misère pour s’abîmer les yeux des heures durant sur un écran d’ordinateur à cliquer sans relâche dans une version moderne du travail à la chaîne sur un épi de blé ou un filon de manganèse.
Riche langue que l’anglais tout de même…
Un autre exemple, « owned », laisserait perplexe un banquier de la City lui-même, puis qu’en bon anglais il ne signifie rien en lui-même, autrement que suivi de to + verbe ou sujet. Dans le cadre qui nous intéresse, il traduit avantageusement la phrase : « Bon, d’accord, j’admet que tu as été plus rapide que moi cette fois-ci, mais tu ne l’emporteras pas au paradis et de toute façon j’en rajoute une couche pour engranger des points afin de booster mon titre JOL ».
« Wé bon é alor ? »
En conclusion nous voici, mes vieux camarades et moi-même, mieux armés qu’auparavant pour jouir du babil des jeunes. Quelques semaines de pratique régulière ont suffi à maîtriser les bases. Votre humble serviteur, après ses étirements du matin, s’entraîne encore à traduire quelques phrases extirpées d’un forum pour ne pas perdre la main.
J’ai bien pris garde de ne porter aucun jugement. Parce qu’il n’y aurait pas plus de justifications à rejeter en bloc les utilisateurs du SMS qu’à traiter les footballeurs de mauvais rugbymen.
Etudier la langue était une chose, déblatérer sans autorité sur le relâchement, la paresse d’esprit, le manque d’imagination, l’immaturité, la sottise et la vulgarité qui souvent l’accompagne en est une autre...
Franchement, j'ai adoré! Et vous, en êtes vous venu à bout?